[cross terminé] Escapade en mer

Elle observa le manège de Kiba sans le quitter des yeux. Cette manie qu'il avait de se méfier de tout, et d'elle, commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs.
Elle se redressa dans un grognement agacé et se mit debout.

Demande pas, ça t'intéresse pas trancha t-elle en enlevant le sable dans ses cheveux.

Elle se retourna et inspecta la lisière du bois, elle fit quelques pas en avant avant de revenir.

Je suis là, amène moi les autres, que je vois qui vit chez moi.

Elle avait l'air calme mais pas franchement patiente et encline à la conversation.

« Demande pas ! Ca t’intéresse pas ! »

Mais qui était-elle pour se permettre ce ton ? Qu’en s’avait-elle ? Ces paroles le touchèrent comme un coup de pied entre ses pattes postérieures. Non aucune femelle qui comptait ne lui parlerait ainsi sans avoir à en répondre.

Alors qu’elle se retournait vers lui en posant une autre question, elle n’eut pas le temps d’entendre le grondement sourd qui remontait de sa gorge, que la masse imposante de Kiba était déjà sur elle. Le Jeune daeva avait bondit, la prenant totalement au dépourvu, l’entrainant dans sa chute au sol. Elle n’heurta pas le sable avec force, Kiba avait glissé un bras dans son dos et stoppé leur chute de son autre bras, la déposant doucement au sol. Se tenant à quatre pattes au dessus d’elle, il la maintenait dans cette position, son visage collé à quelques centimètres du sien. Elle avait poussé un cri qu'il avait étouffé d'une main et du regard. Elle aurait bien voulu réagir mais son corps sous la surprise et la soudaineté refusait de se plier à son esprit. Elle était captivée par ce regard bref qui plongeait au plus profond de ses yeux, de son être et annihilait sur l'instant toute volonté d'hurler ou de se débattre. Elle croyait que ces yeux étaient d’un noir profond et unique mais à présent elle discernait une fine couronne d’un brun tirant vers l’or qui se faisait de plus en plus intense.

« Ca suffit ! Ne me redit jamais cela ! »

Le ton était à la fois doux, protecteur et autoritaire, les mots s’insinuèrent dans l’esprit de la jeune femme.

« Quand je pose une question c’est que la réponse importe pour moi ! Crois tu que si tu m’indifférais je t’aurais invitée ici ? »

Tout en parlant il avait incliné la tête sur le côté gardant les yeux rivés dans ceux de Saraban. Sa bouche était ouverte et dévoilait une dentition particulière aux formes si différentes de la sienne mais aussi d’une blancheur et d’une propreté immaculée. Le souffle chaud de sa respiration glissait sur ses joues. Sans un autre mot il agrippa d’une main le bras de la jeune femme et de l’autre se projeta en arrière, l’entrainant avec lui, s’aidant de ses genoux il se redressa en cambrant son corps. Dans ce mouvement rapide et souple elle se retrouva debout projetée contre le torse de Kiba. Il relâcha son bras et fit un pas en arrière avant de s’éloigner et de ramasser la besace de la jeune daeva. Les mots et le regard du jeune garçon résonnaient encore dans son esprit et petit à petit elle revint sur Atréia, oubliant la surprise et la rapidité de ce qui s'était passé.

« Alors je te repose ma question. Comment vas-tu ? As-tu soif, faim après ce voyage ? »

La voix avait perdu de son intensité et fait place à ce ton mélodieux, presque enfantin, empreint de sincérité, d’amusement et d’insouciance. Ainsi qu’il s’était éloigné pour ramasser son sac, elle put alors pour la première fois voir son dos. Ses yeux s’écarquillèrent à la vision de ces chaires labourées, de profondes et innombrables cicatrices striaient le dos du jeune garçon, ne laissant pas la moindre parcelle intacte.

Il savait qu’elle allait réagir maintenant mais quelle que soit cette réaction il l’accepterait. Il avait agi vite et par surprise ne lui laissant pas le temps de réagir afin de lui faire comprendre qu'elle n'était pas rien à ses yeux. Elle l’intriguait plus que tout, il voulait en savoir plus sur elle, son comportement, ses goûts ses envies. Pourquoi il ne le savait pas mais elle était plus que ce qu’elle ne montrait, il en était certain et sa curiosité le poussait à en découvrir d’avantage sur celle que ces semblables appelaient ‘la louve’.

Dissimulés dans la végétation bordant la plage et les rangées de cocotiers, les trois compagnons de Kiba n’avaient perdu aucune miette du spectacle, analysant chaque mot, chaque intonation, chaque geste, chaque regard que leur alpha avait échangé avec la femelle.

Elle resta sans bouger de longues secondes, ses yeux qui, auparavant, fixaient Kiba semblaient maintenant accrochés à un point invisible très loin derrière le jeune homme.
Elle baissa la tête, ses cheveux masquèrent ses traits, et une de ses mains vint se poser sur son visage. Elle murmurait à voix très basse, d'un ton rauque et égal.

Puis, dans une lenteur étonnante pour qui la connaissait, elle releva la tête et posa sur Kiba un visage emprunt de colère, de dureté. Le malaise aurait pu être palpable tant l'aura de la jeune femme avait changée, totalement différente, autre. Le regard était redoutable, la posture bien plus gracile qu'à l'accoutumée et il émanait d'elle une grande froideur qui contrastait totalement avec le caractère enflammé de Saraban.

Elle fit quelques pas en avant vers Kiba, même la démarche avait changée.

Ne lui fait rien !
Silence susurra t-elle d'une voix basse, rude et surtout différente elle aussi.

Elle allait faire un pas de plus quand son corps tout entier a tressaillit, elle s'est tournée vers le rivage et s'est enfoncée dans l'eau jusqu'aux mollets.
Elle a prit une profonde inspiration plusieurs fois de suite avant de chasser l'air avec lenteur, et l'aura étrange s'est dissipée comme emportée par un coup de vent.

Saraban a dardé sur Kiba un regard sévère mais qui, cette fois, lui appartenait bien.

Oui je vais très bien cracha t-elle.

Saraban resta là, les pieds dans l'eau, sans réagir aux paroles de Kiba. Son corps tanguait vaguement, bercé par les vagues.
La colère qui avait tendu son corps quelques minutes auparavant avait disparue, elle donnait l'impression d'être totalement engourdie.

Au bout de longues secondes d'apathie sa tête remua, elle regarda des deux côtés sans avoir l'air de chercher réellement quelque chose.

Elle renifla doucement et sortit de l'eau en se dirigeant vers le jeune homme. Son regard se posa sur lui.
Aucune agressivité, aucune colère, pas même de la fatigue ou un quelconque intérêt.
Elle semblait éteinte.

Ni faim ni soif dit-elle d'une voix éraillée. Je te suis ajouta t-elle simplement, sur un ton plat.

La jeune femme se laissa faire, sans aucune réaction apparente ni même sans donner l'impression de s'être rendue compte de ce qu'il venait de se passer.

Puis ses lèvres se mirent doucement à remuer comme si elle essayait de dire quelque chose sans qu'aucun son ne sorte. Au fur et à mesure elle se mit à murmurer, d'abord des bafouillis incompréhensibles puis des mots qui semblaient sortir au hasard.

Soudain sa tête eut un petit sursaut et elle la redressa dans un mouvement bref. Elle avait l'air tout à fait alerte, son regard était vif et éveillé.

Un claquement sonore fusa et quelques oiseaux s'envolèrent. Elle avait encore la main en l'air quand elle parla.

Maintenant oui j'ai soif coupa t-elle sèchement.

Elle fit quelques pas en arrière et se passa une main sur les yeux. Elle secoua un peu la tête comme si elle cherchait à en chasser quelque chose sans y arriver vraiment.

Elle plissa fortement les yeux plusieurs fois d'affilée, elle avait l'air hagard et semblait un peu chancelante.
Elle fit rouler sa tête de gauche à droite ce qui provoqua quelques petits bruits sourds. Elle en avait marre de tout ça.

La jeune femme sa rapprocha de Kiba et prit le fruit qu'il lui tendait avant de se laisser tomber au sol.

Contrecoup dit-elle simplement avant de boire à petites gorgées.

Ça faisait longtemps que l'autre n'était plus sortie aussi facilement. Près de deux ans pensa t-elle.
Cela faisait plusieurs jours qu'elle avait Sissel sur le dos en permanence et l'autre agité avec son arbre l'avait bien énervée. Cette histoire de lettre aussi la travaillait beaucoup.

Je suis sortie
La ferme.
Je suis sortie
La ferme.

Saraban lui lança un regard torve. Évidemment qu'il n'avait rien dit.
Elle bu le peu de liquide qui restait encore dans la noix de coco et la rendit à Kiba. Son regard se porta sur sa sacoche et elle fronça les sourcils, elle avait laissé son calumet chez elle.

La jeune femme poussa un long, très long soupir en secouant la tête. Elle ne s'en était plus servit depuis des lustres pourtant là, tout de suite, elle n'aurait pas dit non.
Au moins ça aurait fait disparaître l'espèce de bourdonnement sourd qui persistait entre ses oreilles.

Quand elle ne jacassait pas l'autre trouvait toujours un moyen de marquer sa présence. Mais au moins la jeune femme savait que ce bruit signifiait que l'autre aussi était fatiguée par ce qui venait de se produire.

Saraban releva la tête vers Kiba qui venait de s'asseoir en face d'elle, apparemment il attendait une réponse.
Elle s'humecta les lèvres, elle avait la sensation d'être desséchée.

A une partie de moi-même répondit-elle simplement, sans aucune hargne. C'est pas la peine de m'en demander plus je pourrai pas te répondre.

Elle se releva en geignant, c'était comme si tout son corps avait été tendu à son maximum.

Bon. Tu me les présentes ?

Saraban fit mine d'ignorer la première question.
Il s'agissait d'un peu des deux, il y avait encore beaucoup de choses qu'elle ignorait et aussi tout un tas d'autres qu'elle n'avait pas envie d'étaler au grand jour. Son parasite de toujours lui causait bien des problèmes... Enfin ça n'était rien comparé à avant pensa t-elle avec soulagement.

Elle reporta son attention sur Kiba quand il se déplaça et plissa les yeux lorsque les buissons derrière lui bougèrent.

On aurait pu la plonger dans un bac de glace que le résultat aurait été identique.
Son corps tout entier s'était raidit de nouveau et la chair de poule parcourait sa peau à une vitesse folle. Elle gardait les yeux grand ouverts face à ce qui apparaissait devant elle.

Elle n'en avait plus vu depuis des années. Une véritable éternité lui semblait-il.

Un flot violent de souvenirs remonta en bloc et elle fut prise d'une poussée de tristesse. Ses yeux se mirent à luire, son visage se contracta sous l'émotion et devint encore plus livide.

Tu devrais te calmer
Oui oui je sais bredouilla t-elle
Ce ne sont pas les tiens
Non non

Elle avait toujours trouvé étrange comme l'autre se ralliait à sa cause dès que quelque chose clochait et qu'elle menaçait de perdre pied. A croire qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait.

Elle renifla plusieurs fois d'affilée, elle en avait oublié la présence de Kiba.

Magnifiques dit-elle naturellement dans un sourire sincère. Les autres ?

Elle se calma un peu, reprit une couleur normale et un visage plus serein.

Bien. Ça ne l'ennuyait pas de ne pas voir les autres, elle avait confiance. Et l'autre était d'accord ce qui la confortait encore plus dans sa pensée.
Elle croisa les mains derrière son dos et détailla les trois animaux d'un œil critique pendant plusieurs minutes. La taille du plus grand était impressionnante mais elle n'arrivait pas à s'en émouvoir.

Elle n'avait pas besoin de les toucher, ça n'était pas les siens. Mais une chose la gênait.
Elle s'adressa à Kiba sans stopper son inspection.

Votre territoire ? demanda t-elle calmement.

Elle darda sur le jeune homme son regard doré et inclina la tête.

Elle s'était attendue à cette réponse, ça ne la surprenait même pas.
Elle ne se considérait pas comme un chef, un maître ou quoi que ce soit de ce genre. Mais elle savait ce qu'avait dû endurer les anciennes Cohorte pour conserver, et surtout reprendre, ce territoire.

Ça la poussait à tout faire pour que tous sachent qu'ici ils foulaient les terres de La Cohorte.

Alors il faudra concilier les notions animales et humaines déclara t-elle. Vous avez posé vos marques mais les nôtres y sont également. Tu ne peux pas les sentir mais elles sont là.

Elle tourna la tête en direction du rivage. Il faisait maintenant complètement nuit, elle ne pourrait repartir qu'à l'aube.

Mais je t'ai dit que tu pourrais vivre ici avec les tiens et je le maintiens.

Saraban eut un petit sourire mutin qui retroussa son nez et fit pétiller ses yeux.

Le temps de marche ne me dérange pas... C'est toi qui porte mon sac fit-elle remarquer dans un petit clin d'œil.

Le bourdonnement était toujours présent et elle savait qu'il ne disparaitrait pas avant quelques jours. C'était le contrecoup du changement mais elle ne s'y habituerai jamais, c'était comme si sa tête était ouverte à tous les bruits ambiants.

Plutôt que des questions tu vas me dire de quoi tu as besoin ou ce que tu veux.

Il lui fallait se concentrer sur autre chose pour oublier ce bruit.

Saraban observa le manège de Kiba et des autres loups. Un petit sourire étira ses lèvres, ça ne l'impressionnait pas vraiment mais ça la mettait de bonne humeur.
C'était un fait rare ces derniers temps.

Je pense que Daedalus se fera un vrai plaisir de t'aider pour la forge. Mais t'en as besoin pour quoi ?

Elle en était certaine, le guerrier ne dirait pas non, au contraire même. D'autant que si c'était elle qui le lui demandait il le prendrait probablement comme un devoir. Elle eut un petit rire bref, ce serait plus simple s'ils étaient tous comme lui. D'autant que ça pourrait être amusant d'après ce que Sissel lui avait dit et la façon dont il la regardait avant de détourner les yeux.

Elle regarda autour d'elle, malheureusement il faisait trop sombre pour qu'elle voit à plus de quelques mètres, elle n'avait pas exploré l'île assez profondément pour savoir où étaient toutes les ruines. Par contre elle aurait parié qu'elles étaient déjà toutes répertoriées dans les archives.
Un haussement d'épaule la secoua, si ça amusait Kiba.

C'est pas la peine de me faire à manger poursuivi t-elle. Je vais, elle agita les mains, tout vomir pendant des heures.

Elle poussa un long soupir, c'était toujours pareil ça aussi.